Avant-propos par Beate Klarsfeld Préface de l’auteur Les circonstances de ma collaboration avec Ruth Kapp Hartz sont en elles-mêmes une histoire qui a transformé nos deux vies. Au fur et à mesure de nos présentations aux enfants, jeunes gens et adultes sur l'expérience des enfants cachés à l'époque des Nazis, et sur le rôle des individus qui ont protégé et sauvé les réfugiés juifs d'une mort certaine, Ruth et moi-même avons pris conscience que ce récit faisait effectivement partie intégrante de l'histoire beaucoup plus large de Tu t'appelles Renée. Ruth Hartz était mon professeur de français lorsque j'étais collégienne à l'École Springside à Philadelphie (Pennsylvanie). Je la connaissais alors sous le nom de « Madame Renée Hartz ». En tant que professeur, « Madame » était à la fois exigeante et chaleureuse, sensible tout en étant sévère, et elle faisait preuve d’une dignité et d'une grâce naturelles qui, même à ce jour, incitent au plus grand respect. [. . .] Dès le lycée, je savais que je voulais écrire. J'étais intéressée par la Shoah et plus particulièrement, par le sort des enfants juifs à cette époque. Lorsque je suis entrée à l'université, je savais que je voulais écrire une histoire sur un segment de la Shoah jusqu'ici peu documenté : qu'était-il advenu des enfants juifs en France pendant l'Occupation nazie ? (Nous étions au début des années 80, avant le procès de Klaus Barbie et à la veille d'autres incidents qui ont permis d'en savoir plus sur la collaboration des Français avec les Nazis.) L'une des premières questions de Ruth a été de savoir pourquoi je voulais écrire un livre à ce sujet et pourquoi cela semblait si important pour moi. C'était à mon tour de lui confier que, lorsque j'étais en CM2, j'avais entendu l'histoire d'une femme catholique qui avait caché des familles juives pendant les premières années de la guerre. Son mari et elle avaient fait passer clandestinement un grand nombre de familles vers des « maisons sûres », ce qui avait fini par attirer l'attention de la Gestapo. Cette femme avait été torturée par les Nazis, qui cherchaient à la faire avouer où son mari se trouvait. Ses bourreaux lui avaient arraché les ongles, un par un, mais elle n'avait rien dit. Mal- heureusement, son mari fut finalement capturé et tué par les Nazis. La femme, devenue veuve, partit pour Paris et entra dans un ordre religieux catholique. Après avoir pris le voile, elle vécut et travailla dans ce couvent. Elle fut transférée aux États-Unis dans les années 60 et devint membre du personnel de mon école à Philadelphie. C'est ainsi que j'avais eu connaissance de son passé. Ruth me révéla qu'elle-même avait été confiée à un couvent catholique dans le Sud de la France, sans savoir si ses parents étaient morts ou vivants. C'est en pleurant qu'elle me dit : « On m'a laissée dans la rue. On m'a dit que j'étais une orpheline de guerre. » Je crois bien que j'ai été l'une des premières personnes, en dehors de sa famille proche, avec lesquelles Ruth a partagé cet aspect douloureux de sa petite enfance. Alors que Ruth allait à la découverte de son passé, j'allais, quant à moi, à la découverte de l'histoire. En tant qu'écrivain, j'étais déterminée à capturer les expériences incroyables de cette petite fille et de sa famille et à les rapporter avec sa voix, la voix de cette enfant. Je parcourais la France seule et retraçais les étapes de Ruth et de ses parents alors obligés de se cacher. J'allais de Paris à Alençon, Ribérac, Saint-Juéry, Arthès et Sorèze. J'effectuais une série d'interviews en France au cours de l'été 1985. J'ai pu m'entretenir avec les parents de Ruth ainsi qu'avec des proches des familles qui avaient caché Ruth et les siens. J'ai interviewé des ecclésiastiques et des religieuses auprès de qui j'avais été recommandée, et je leur ai demandé pourquoi ils avaient choisi d'aider le peuple juif, sachant très bien qu'ils couraient le risque d'être capturés par les Nazis et d'être tués s'ils tombaient entre leurs mains. J'ai retrouvé le dossier de Ruth à l'Œuvre de secours aux enfants (OSE), un organisme qui, pour les protéger pendant la guerre, plaçait un grand nombre d'enfants juifs dans des familles non juives et essayait ensuite de les faire passer clandestinement en Suisse et enfin aux États-Unis. Ruth n'avait jamais eu connaissance de ce dossier, ni même de l'OSE. Par une tournure étrange des événements, un homme qui connaissait le directeur de l'organisme, me dirigea vers les bureaux de l'OSE. Sans son aide, je n'aurais jamais découvert certains aspects jusqu'alors inconnus de l'histoire de Ruth et comment elle en était arrivée à être placée dans un couvent catholique. Alors que j'effectuais mes recherches, je découvrais en même temps la voix de la petite fille, la voix de Renée. À cette époque, on commençait tout juste à explorer le phénomène des enfants cachés durant la Shoah. J'avais opté de le découvrir au travers des impressions, des émotions et de la voix de cette petite fille. C'était pour moi la meilleure façon de rendre justice à son histoire. Beaucoup m'ont demandé comment le titre, Tu t'appelles Renée, avait été choisi. Renée était le prénom français de Ruth, qu'une cousine plus âgée, Jeannette, lui avait donné. Comme de nombreux enfants cachés, Ruth avait reçu un prénom français pour tenter de la protéger. Si elle pouvait assumer une nouvelle identité, parler en français et nier ses origines juives allemandes, elle avait une petite chance de survivre pendant l'Occupation nazie en France. C'est ce qu'un grand nombre d'enfants cachés avaient été obligés de faire dans toute l'Europe. Les effets de ces traumas — bien que différents de ceux expérimentés par les survivants des camps de concentration — sont tout aussi dévastateurs, et font maintenant l'objet de plusieurs études et recherches. L'histoire de Ruth n'est pas contée sous l'angle psy- chologique de la rétrospective et de la réflexion. Ce récit est au contraire l'_expression des perceptions de la jeune Renée, pour permettre au lecteur de recréer le monde terrifiant de cette enfant. Contrairement aux écrivains qui, pour une somme forfaitaire, acceptent de rédiger les témoignages d'individus en suivant leurs indications, Ruth m'a confié ses expériences afin que je relate l'histoire qui ne devait pas être oubliée. Bien que je sois l'auteur de ce livre et Ruth l'héroïne, nous avons toutes deux appris au cours de nos treize ans de collaboration. Nous avons été émerveillées par la force de ce récit qui a réussi à transformer ses lecteurs, et par la force de notre histoire faite d'amitié et de collaboration, qui a réussi à convaincre les enfants et les jeunes gens qu'ils pouvaient changer le cours des choses. Ils sont toujours touchés par l'idée que la vie d'un professeur ait pu être immortalisée par une étudiante avec laquelle ce même professeur a eu le courage de partager son histoire. Je peux dire en toute franchise que ce livre symbolise l'amitié et le respect que j'éprouve pour mon professeur, dont les expériences personnelles ont changé à jamais la façon dont je regarde le monde. On dit souvent que c'est l'histoire qui trouve l'écrivain. Le privilège d'écrire ce livre fait partie de mon histoire et de mon évolution en tant qu'écrivain et être humain. Quel plus beau cadeau une professeur pourrait-elle donner à son élève ? Stacy Cretzmeyer |