EXTRAITS
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Chapitre 3 : Le dernier train de Toulouse

      Nous sommes à table lorsque tout à coup le plancher du couloir d'entrée se met à grincer, puis on frappe à la porte. Maman et Papa se regardent. Il tient encore un morceau de pain dans la main. « Qu'est-ce qu'il y a ? » Je pose la question à voix basse. On frappe à nouveau. Maman se lève doucement et Papa s'approche de la porte en disant : « Oui ? » « C'est
Lambert », répond la voix derrière la porte.

      Maman s'assied, soulagée. Elle dit à Papa que c'est le monsieur qui travaille à la préfecture. Papa ouvre la porte et Lambert entre presqu'en courant. Il est hors d'haleine. Il a couru jusqu'ici et dit à Papa de fermer la porte. Maman se lève à nouveau et me prend par la main. L'homme est très agité et semble aussi exténué. Gêné par son embonpoint, il respire avec difficulté après un tel effort.

      « Vous devez partir d'ici et vite ! J'ai tout entendu au travail aujourd'hui. Ils connaissent l'immeuble. Il va y avoir une rafle probablement dans l'heure. Il n'y a pas une minute à perdre ! »

      Papa avale plusieurs fois. Maman est déjà en train de jeter des affaires dans un sac. Elle prend une petite boîte cachée sous le matelas et la met dans le sac. Je sais que c'est de l'argent. Elle continue à remplir le sac avec des vêtements. Papa se précipite vers la porte.
« Où vas-tu, Benno ? » demande Maman en écarquillant les yeux. « Je dois aller prévenir Heinrich. »

      Monsieur Lambert lui chuchote à l'oreille :
« Vous êtes fou ! Vous n'avez pas le temps. Je vais le prévenir. À quel étage habite-t-il ? » Papa le regarde avec méfiance. « Qui nous dit que ce n'est pas un piège ? Nous allons arriver à la gare et la police sera là pour nous arrêter.

      — Benno ! Maman s'écrie. Cet homme nous a tant aidés. Pourquoi est-ce qu'il nous tendrait un piège maintenant ?

      — Il va falloir que vous me croyez, Monsieur, à moins que vous vouliez être arrêté ici dans l'immeuble. » Papa explique alors à Lambert où habite Oncle Heinrich. L'homme jette un coup d’œil à sa montre. « J'y vais tout de suite. Vous avez ma parole. Mais quittez cet immeuble aussi vite que possible. Il y a un train qui part dans dix minutes. C'est le dernier pour aujourd'hui. Je préviendrai votre frère, mais dépêchez-vous et partez ! »

      Puis il disparaît. Maman a fini d'emballer nos affaires. Elle se met à pleurer. « Et Jeannette alors ? » lui dis-je. « Elle va nous rejoindre, Renée. » Nous parlons tous à voix basse comme si la police était déjà dehors. Papa met son chapeau et nous nous dirigeons vers la porte. Maman se retourne tristement en regardant la table et le repas à moitié consommé.

      Nous dévalons l'allée à toute vitesse. De la fenêtre du haut, Sylvie nous regarde partir. Papa se retourne quand je la montre du doigt et il lui fait signe de nous suivre, mais elle tourne la tête. Tante Sophie l'a convaincue que la police n'arrêtera ni les femmes ni les enfants. Maman me pousse devant elle. Je voudrais bien qu'elle arrête de faire ça, mais elle me dit de me dépêcher parce que le train va partir dans cinq minutes. Si on ne l’attrape pas, nous serons arrêtés. Je me mets à rire. Je n'ai jamais vu mes parents courir comme ça surtout avec des sacs très lourds. « Chut, chut », me dit Maman nerveusement. Après avoir tourné le coin de la rue, nous passons devant l'appartement d'Oncle Heinrich. Papa lève les yeux et regarde la fenêtre aux volets fermés, mais nous ne pouvons pas les appeler de peur d'attirer l'attention sur nous. Pas de trace de Monsieur Lambert dans la rue. A-t-il prévenu Oncle Heinrich ? Est-il là-haut en train de les aider à partir ?

      Nous nous dépêchons et bientôt nous sommes arrivés à la gare. La ligne de chemin de fer est proche de l'appartement d'Oncle Heinrich. Il devrait arriver d'une minute à l'autre. Mais il ne vient pas. Maman regarde autour d'elle. Papa enlève son chapeau et le tient à la main. Il scrute la rue. Le train entre en gare. Un courant d'air caresse mon visage lorsqu'il me dépasse.

      Papa regarde partout, mais Oncle Heinrich n'est nulle part. « Est-ce qu'on va être arrêtès, Maman ?

      — Chut, Renêe. Quand le train s'arrêtera, reste près de moi. Surtout pas un mot. »